28 mars 2007

Multatuli


Idée no. 102

Multatuli


Si c’est par la Nature qu’on doit démonter l’existence de Dieu, nous dépendons de nouveau de istes et iens, et les notions sur Dieu d’une tache dans la lentille du microscope, d’une erreur d’un millimètre dans l’échelle d’un fer qui se trouve à proximité d’une boussole dont la déclinaison a été mal calculée, de l’achromatisme imparfait d’un télescope, etc… etc…
Certes, et de quoi pas !
Sirius est distant de nous d’autant de lieus, donc : Dieu est grand.
Cet infusoire confère avec ses compagnons, les infusoires, qui l’entendent et le comprennent, donc : Dieu est grand.
Ce poisson possède une nageoire qui lui permet de faire des voltes d’un angle de 1 / 1000000 de degré, donc : Dieu est grand.
Ce sont le professeur A, le docteur B et le prosecteur C qui l’ont découvert ; et ces trois naturalistes, serviteurs de Dieu, sont les théologiens du jour.
Le lendemain, on constate :
Que Sirius situé une lieue plus loin : Dieu d’une lieue grandira.
Que l’infusoire a été compris de travers : Dieu a été compris de travers.
Que ce poisson est moins agile qu’on l’eût cru et que ses mouvements requièrent l’ange précédent dont la fraction a été diminuée d’un zéro : il y a un zéro de moins dans le chiffre exprimant la valeur de Dieu. Si cependant je voulais rêver, conjecturer et radoter de ce dont je ne connais rien, je serais de l’avis de l’antique et rêveuse théologie. L’étude de la Nature est la meilleure étude, mais on n’y apprend rien... si c’est la Nature, c.à.d. : tout ! Et c’est précisément parce que Dieu est hors de tout qu’on ne peut l’apprendre à connaître dans cette Nature.

MULTATULI
1862



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Le 4 mars 1894, le jeune Alfred Jarry écrit une première lettre au directeur du Mercure de France, Alfred Vallette :

Monsieur,

Je prends la liberté — un peu bien téméraire — de vous importuner encore d’une mienne production, traduction d’un poète anglais trop inconnu aujourd’hui et à qui doivent tout E. Poe et Baudelaire. Quoique bien jeune je ne me suis pas cru trop indigne de l’offrir au Mercure, qui a eu la gloire de faire connaître Multatuli. […]
Avec un espoir hélas bien incertain, je vous prie d’agréer mes meilleures et respectueuses sympathies d’art.

ALFRED JARRY.
84, boulevard de Port-Royal.

…de faire connaître Multatuli : les extraits de l’œuvre de l’écrivain néerlandais Multatuli (E. Douwes Dekker) publiés par le Mercure en 1893-1894 recouvrent une quarantaine de pages tirées de diverses publications.
Il nous semble/ est probable que dans cette lettre à Valette, datant de mars 1894, Jarry fait allusion à la publication d’un certain nombre d’‘Idées’ de Multatuli dans le numéro de février 1894. Là est reprit l’idée no. 102 (datant d’environ 1862 et traduite par Emile-Henri van Heurck) comme c’est reprit dans les Documents.
Nous ne voulons pas donner des spéculations quel des textes de Multatuli sont lu par jarry. Il va sans dire que l’idée no. 102 est bien dans un esprit pareil a celle de Faustroll, ‘Donc, POSTULAT : Dieu est le plus court chemin de zéro à l'infini [et] la pataphysique est la science’.

B.D.
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http://www.multatuli-museum.nl/

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